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Mieczysław
WEINBERG

« …j’ai ce que j’appellerais une « grande marmite » dans laquelle tous mes thèmes cohabitent, parce que je pense que la mélodie, qui définit l’identité et l’image, est la chose la plus importante en musique, y compris la musique instrumentale.

« Je crois que chaque moment dans la vie d’un véritable artiste est un travail. Un travail intéressant, dur, sans fin. Travailler non seulement au bureau, mais par l’observation et l’assimilation des sons, des couleurs, des mouvements et rythmes dans le monde réel. Je suis toujours au travail. »

Mieczyslaw Weinberg

 « L’un des compositeurs les plus importants de nos jours »

Dimitri Chostakovitch

 « Un être humain d’une incroyable pureté ; il n’a pas vécu dans un pays – pas dans la réalité qui l’entourait. »

Thomas Sanderling

 « Aujourd’hui…je milite pour la musique de Weinberg. Pendant des décennies, il a été dans l’ombre de Chostakovitch et, comme de nombreux collègues, j’ai commis l’erreur de ne pas reconnaître la grandeur de ce compositeur. Depuis deux ou trois ans, j’ai compris que Weinberg était, aux côtés de Chostakovitch, l’un des plus grands compositeurs de son temps en Europe de l’Est. »

Gidon Kremer

Ma découverte de la musique de Mieczyslaw Weinberg remonte aux années 1994. Avec le Quatuor Danel, formé en 1989 avec mon frère Marc et ma sœur Juliette, nous préparions l’intégrale des quatuors de Chostakovitch, accompagnés par le Quatuor Borodine, Fiodor Droujinine et le compositeur polonais Krzysztof Meyer. À cette époque, des proches de Chostakovitch nous ont incité à travailler la musique de Weinberg : Mme Irina Chostakovitch, Valentin Berlinsky, violoncelliste du Quatuor Borodine, Alexander Raskatov, alors tout jeune compositeur installé à Heidelberg, et enfin le très érudit musicologue belge Frans Lemaire1, connu pour ses travaux sur la musique soviétique et la musique juive. Nous nous sommes donc lancés dans cette aventure, recherchant des partitions auprès du Quatuor Borodine, du musicologue Manashir Yakubov ou de la famille du compositeur.

Quelques moments inoubliables :  la première rencontre à Moscou entre les responsables la maison d’édition Peer Music et la famille de Weinberg – Olga Rakhalskaya, seconde épouse de Weinberg et leur fille Anna, la création de trois quatuors de Weinberg à Manchester (l’Aria op 9, le Capriccio op 11 et le 6ème quatuor op 35), la rencontre avec la première fille de Weinberg Victoria Bishops à Bregenz en 2010, et bien évidemment, ces journées d’enregistrement génialement encadrées par Barbara Valentin.

Dès 1944, Weinberg est reconnu par ses pairs en Russie. Les musiciens, chefs d’orchestre et cinéastes de son pays d’adoption n’ont pas attendu la fin des purges staliniennes pour lui témoigner leur estime, malgré l’ostracisme d’un système ou l’Art valait pour propagande2. Pourtant Weinberg, de par ses origines et sa liberté créatrice, ne peut être considéré comme le parangon du compositeur soviétique ! Parmi les musiques de film qui lui ont été confiées figurent celles de « Quand passent les cigognes » de Mikhaïl Kalatozov en 1957 – Palme d’or à Cannes en 1958 – et la version russe de « Winnie the Pooh » en 1969. Sa musique fut créée par les plus grands artistes russes dès 1943 :  Emil Gilels, David Oïstrakh, Leonid Kogan, Mstislav Rostropovitch…

Au-delà de cela, l’amitié entre Weinberg et Chostakovitch sera un repère important pour cet homme malmené tout au long de sa vie par les circonstances géopolitiques. En 1943, Chostakovitch découvre la première symphonie de ce jeune compositeur polonais ; impressionné par son talent, il obtient pour lui un visa qui lui permettra de s’installer à Moscou où il vivra jusqu’à son décès en 1996. En 1953, à l’époque du « complot des blouses blanches », Weinberg est emprisonné de février à fin avril, et encore une fois Chostakovitch s’exposera pour obtenir la libération de Weinberg en écrivant au Lavranti Beria, le terrible chef du NKVD/MVD (ancêtres du KGB), devenu vice-président du Conseil des Ministres de l’URSS à la mort de Staline ».

Weinberg n’était pas l’élève de Chostakovitch, et pourtant circule cette citation célèbre : « Je me considère comme son élève, par le sang et par la chair ». Les rapprochements que l’on pourrait faire entre le répertoire des deux compositeurs proviennent d’une grande estime réciproque ; ils se présentaient leur répertoire en avant-première, y compris les symphonies jouées en version deux pianos. Weinberg et Chostakovitch engagèrent même une amicale compétition concernant le nombre de quatuors écrits, et je me souviens de l’émotion de Fiodor Droujinine3 racontant sa première répétition avec le Quatuor Beethoven devant Chostakovitch, celui-ci étant impatient que soit créé son 9ème et 10ème quatuors – dédié à Weinberg – alors que Weinberg n’en avait écrit que 9. Chostakovitch admire également le talent de pianiste de son cadet, et lui confiera l’avant-première de sa sonate pour violon – avec David Oïstrakh – et la première de ses « Sept Romances sur des poèmes d’Alexander Blok op. 127 » – avec Galina Vichnevskaïa David Oïstrakh et Mstislav Rostropovitch.

Bien que quelques personnalités visionnaires – compositeurs, musicologues ou mélomanes éclairés – aient rapidement défendu l’importance de son œuvre en occident – Per Skans, Tommy Persson, Franz Lemaire, Alexander Raskatov, Nicolas Bacri…– une reconnaissance internationale ne lui sera accordée qu’après sa mort. David Fanning, assisté de Michelle Assay, a repris les travaux de Per Skans, et je ne peux que recommander la lecture de son livre « Mieczyslaw Weinberg, In Search of Freedom »4. La musicologue polonaise Danuta Gwizdalanka concentre ses recherches actuelles sur la musique de Weinberg, et a écrit la première monographie polonaise lui étant consacrée et dont nous espérons la traduction française dans les prochains mois : « Mieczysław Weinberg, Un compositeur de trois mondes »5.

La vie de Mieczyslaw Weinberg est marquée par les drames qui ont secoué l’Europe au milieu du XXème siècle, et il serait indécent de vouloir commenter l’influence de son destin6 sur sa musique. Seul son témoignage peut être accepté : « Je ne veux en aucun cas me présenter devant vous avec l’auréole d’une personne exceptionnelle – Dieu m’en garde. Malheureusement, il y a eu d’innombrables destins semblables aux miens. Hélas ! Si la préservation de ma vie a marqué mon existence, cela me donne l’impression qu’il est impossible de rembourser la dette, que pas 24 heures sur 24, sept jours sur sept, le travail créatif ne me ferait même pas avancer d’un pouce vers un remboursement »7. Ce créateur prolixe et d’un génie indiscutable restera toujours positif et ne se situera jamais en victime, et concernant les souffrances que le régime soviétique lui faut subir, ces commentaires seront parfois teintés d’humour.

Par la rédaction des textes de présentation des concerts de cette première biennale, commentaires d’un musicien et non d’un musicologue, j’espère éveiller la curiosité et inciter mes contemporains à approfondir leur connaissance de Weinberg. Je me réjouis de constater l’intérêt grandissant des publics pour la musique de Weinberg. A Bregenz, Victoria Bishops, sa fille, évoquait les doutes de son père quelques semaines avant sa mort sur l’accueil que recevrait sa musique. Il n’est jamais trop tard pour que justice lui soit rendue.

Merci à tous ceux qui participent à la mise en place de cet évènement, et qui feront de cet hommage une fête, et entre-autres à l’Institut Polonais de Belgique, notamment Madame Maria Winiarska pour sa collaboration.

Merci aux musiciens qui serviront cette musique avec âme et passion. Un programme sera proposé en salle. Mes remerciements à Danuta Gwizdalanka qui a accepté de le rédiger et aussi à Tommy Persson et Olga Rakhalskaya pour la mise à disposition des photos que vous y trouverez. Merci également à Katarzyna Naliwajek et Nicolas Bacri qui présenteront les concerts du Silesian Quartet et des Métamorphoses.

Guy Danel

1 Franz Lemaire « Le Destin Juif et la Musique » Fayard 2001 ISBN-13 : 978-2213607634

2 se référer au livre de Frank Westermann, « Ingenieurs van de ziel ».NL: Singel Uitgeverijen ISBN 9789023489412 – FR : Christian Bourgois EAN 978-2267017144.

3 au sujet de cette rencontre, se référer à Fiodor Droujinine, Souvenirs, éditions Museum Graeco-latinum, Moscou, 2006. ISBN 9-785872-451235 p155 & 116

4 David Fanning, In Search of Freedom – Wolke Verlag, 2010. ISBN 978-3-936000-91-7

5 Danuta Gwizdalanka. Mieczysław Wajnberg :  Kompozytor z trzech światów – Poznań 2013 – ISBN 978-83-913521-6-8

6 un livre marquant parlant du destin des contemporains de Weinberg : Daniel Mendelsohn, « Les Disparus » Flammarion 2007 EAN:9782081205512

7 David Fanning, ouvrage cité p 15

Avant-propos de Guy Danel,

membre fondateur du Quatuor Danel (1989 – 2013), Président de chamber Music for Europe.

CHAMBER MUSIC
FOR EUROPE -


EN QUELQUES MOTS

Chamber Music for Europe rassemble les énergies vives qui défendent une culture d’excellence et entretiennent le lien entre tradition et modernité, accompagnant les ensembles de musique de chambre qui nourrissent des ambitions professionnelles à long terme.

70 concerts, 150 oeuvres différentes couvrant 250 ans de l’histoire de la musique : la programmation sollicite cette année 25 ensembles ayant une expérience de plusieurs décennies pour certains, d’à peine quelques années pour d’autres.

Les séries de concerts proposées : Classique Ici ! – Boondael Classic – Pas Si Classique – Karreveld Classic, et également les concerts et festivals mis en place en collaboration avec «Concerts en Nos villages ».

LA BIENNALE

20141026 Domein Toshio Hosokawa concertgebouwBrugge_photo CME

Chamber Music for Europe propose des événements qui rassemblent autour d’un compositeur, d’une thématique ou d’un lieu plusieurs ensembles de musique de chambre, belges et étrangers, d’une expérience de quelques années ou de plusieurs décennies. Ces rencontres permettent au public d’approfondir l’approche d’un répertoire, profiter de l’éclairage apporté par les compositeurs ou musicologues invités, et en même temps de favoriser l’échange d’expériences entre les ensembles. Ces propositions se consolident et deviennent une Biennale ; en 2019, elle consistera en un hommage au compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg. Rendez-vous est pris en 2021 pour un événement qui enrichira par une nouvelle proposition la scène musicale Bruxelloise soit par la programmation présentée ou par le format proposé.

Quelques étapes : 2013 : « Pick Opus » & « Bruilliances Contemporaines » – 2014 : « Domein Hosokawa » – 2016 : « Quatuors de Quatuors » – 2017 : « Pas Si Classique, Marathon » & « Un autographe sort de sa réserve ».

REMERCIEMENTS

Les citations de cette page sont issues de : (Weinberg) Lyudmila NIKITINA, Academy of Music, 1994, n ° 5 p23, cité par David Fanning, « In Search of Freedom » p 139 ; Anon, « love letters » Muzikal’naya zhien’ 2002/2 p18 cité par David Fanning, « In Search of Freedom » p 15 ; (Chostakovitch) Angèle Leroy – https://philharmoniedeparis.fr/fr/magazine/chostakovitch-weinberg-une-amitie-indefectible – Janvier 2016 (Sanderling) Elisaveta Blumina – cpo 777 804–2 livret CD – p17 – 2014 (Kremer) Entretien avec Christophe Kuss, www.ledevoir.com/culture/musique/403865/les-combats-de-gidon-kremer  29 mars 2014 

Photo de Weinberg : © Olga Rakhalskaya & Tommy Persson, que nous remercions de leur autorisation.